Aux Belles Poules - 13/03/2019
« AUX BELLES POULES »
Le 13 mars 2019, vingt adhérents de l’Amicale ont été tentés par notre proposition de participer à un goûter-conférence « Aux Belles Poules » cette ancienne maison close située à Paris 2ème 32, rue Blondel entièrement restaurée dans son décor Art Déco d’origine. L’activité première de cet établissement a disparu à la suite de la loi Marthe Richard de 1946 et il est actuellement dédié à l’organisation de conférences, de dîners spectacles ou à toute autre manifestation événementielle. Dans cette atmosphère d’antan et festive, Madame Isabelle Arnaud, conférencière bien connue de beaucoup d’entre nous, nous a conté l’histoire des maisons closes et de leurs pensionnaires.
En nous recevant « Aux belles Poules », Caroline Sénot, l’actuelle propriétaire, a commencé par nous raconter l’aventure de sa création.
Postérieurement à la fermeture administrative de la maison close, l’établissement avait été acheté par un grossiste de produits asiatiques. En 2011, Madame Senot et son père en ont fait l’acquisition pour y exercer leur activité d’informatique.
Lors des travaux de rénovation des locaux en 2014 et en retirant les planches qui recouvraient les murs, les merveilles de ce lieu (qui étaient inscrites à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis 1997) ont été redécouvertes; c’était la salle aux fresques de mosaïques aux décors érotiques et aux larges miroirs sur les murs et l’intégralité des plafonds de l’ancienne maison close « Aux Belles Poules » ouverte en 1920 et agrandie en 1925 par l’annexe de l’hôtel voisin. Pendant trois semaines deux spécialistes des vitraux et des céramiques ont procédé à la restauration des fresques et rebouché plus de 180 trous réalisés par les anciens occupants pour accrocher les plaques de bois.
C’est dans cet «ancien salon des présentations et de l’alcool » au somptueux décor de l’hôtel de passes que nous avons été accueillis autour de trois grandes tables pour découvrir les secrets de ce lupanar des Années Folles où la Haute Société Parisienne venait s’encanailler au milieu des bouteilles de champagne. Pour ne pas faillir à la tradition et pour nous mettre dans l’ambiance de la maison, nous avons eu la plaisir de déguster une pâtisserie de chez Gabriel Pastry Art agrémentée d’une coupe de champagne comme les anciens clients.
Cet établissement de belle renommée figurait dans le guide des plaisirs de l’époque parmi les bonnes adresses comme le Chabanais, le One-Two- Two ou le Sphynx. Selon la Brigade Mondaine 20 à 30 pensionnaires s’y relayaient du début de l’après midi jusqu’au petit matin au rythme de deux passes par jour et de trois le dimanche. Pour recevoir les clients dans ces grandes maisons, les filles étaient habillées par de grands couturiers tels Lanvin.
Le Chabanais installé près du Palais Royal était célèbre pour ses chambres à thèmes d’un luxe fabuleux telles la chambre japonaise, la chambre hindoue, la chambre médiévale où se retrouvaient des financiers, des hommes politiques et des têtes couronnées. Edouard VII Prince de Galles y avait sa chambre attitrée connue pour son fameux fauteuil des voluptés.
Le Sphynx, 31, boulevard Quinet à Paris se distinguait par une architecture et des décors d’inspiration néo-égyptienne et a accueilli le gratin intellectuel et politique de l’entre deux-guerres.
Le One -Two-Two au 122, rue de Provence à Paris était l’une des plus illustres avec elle aussi ses chambres à thèmes telles la chambre des tortures du Moyen-Age, la chambre des supplices avec mise en scène de crucifixion, le grenier à foin, la chambre igloo. Il attirait aussi les amoureux du voyage avec la cabine de paquebot transatlantique.
Les hommes venaient y goûter le charme des pensionnaires mais ils pouvaient également y souper avec leur compagne car il était de bon ton d’être vu dans ce lieu mythique.
Au XIXème siècle la maison close est un endroit chic que les hommes d’affaires comme les étudiants fréquentent sans se cacher. Au XIX siècle, 200 établissements officiels contrôlés par la police et des médecins sont recensés dans Paris.
Il existait toute une hiérarchie des maisons closes allant des Maisons de Grande Tolérance jusqu’aux « bordels » des bas-fonds. Les messieurs plus modestes se rendaient dans les taudis borgnes du Marais et des Faubourgs. Les femmes étaient soumises à un véritable travail à la chaîne. Certaines maisons abritaient jusqu’à 50 pensionnaires contraintes de recevoir plus de vingt clients par jour. Malgré la règlementation de la prostitution instaurée dès le Premier Empire et renforcée par le Préfet de Police Dubois en 1843 qui a rendu la visite médicale obligatoire et instauré le Registre de la Prostitution, on pouvait distinguer les filles de joie « soumises » inscrites sur les registres de la Préfecture de police et les « insoumises » qui étaient hors du contrôle du bureau des mœurs. Les filles des rues étaient dites « en carte » et celles des maisons étaient dites « à numéro ». Il y avait aussi les marcheuses, les pierreuses, les filles à soldats, les filles des barrières, les filles voleuses. Jusqu’à leur fermeture en 1946, la fréquentation de certains lieux n’était pas sans risque pour le client exposé tant aux infections vénériennes qu’au vol de son portefeuille ou de sa montre. Entre 1870 et 1900, on a pu dénombrer 155 000 femmes déclarées comme prostituées sans compter celles qui pratiquaient la prostitution clandestine.
Toutes les maisons closes ou borgnes de toutes catégories tenaient leur nom de leur architecture spécifique. Leurs façades étaient dépouillées et neutres avec au-dessus de la porte d’entrée la mythique lanterne rouge et une plaque de numéro plus grande. Souvent les bâtiments occupés par ces maisons borgnes n’avaient que la largeur d’une seule pièce, ce qui les distinguait des autres immeubles de la rue plus larges.
En revanche l’intérieur de la maison était généralement soigné voire luxueux et s’articulait autour d’un escalier central desservant tout l’immeuble entièrement consacré à la prostitution.
En 1911, la police a également autorisé « les maisons de rendez-vous »moins identifiables de l’extérieur où les prostituées ne vivaient pas mais venaient seulement travailler. Ces établissements ont fait la satisfaction d’une clientèle aisée et discrète dans les années 1920.
A sein du 32 rue Blondel dans l’intimité et le cadre somptueux des Belles Poules nous avons pu imaginer le temps d’un après midi la vie quotidienne de toutes ces filles de maison aux surnoms les plus variés et évocateurs comme « la Môme Sucre d’Orge ou « Pattes d’Araignée » et de tous les personnages gravitant autour d’elles comme la maquerelle ou la Maitresse et Monsieur son mari dans les établissements « supérieurs », sans oublier bien sûr les clients les plus célèbres: politiques, artistes et écrivains.
Pour une soirée entre famille ou entre amis n’oubliez pas cet établissement destiné maintenant à la fête « en toute moralité »dans un décor prestigieux et inoubliable.
Hélène Barthon